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A la suite du décès le 27 juin 2023 d’un mineur sur la commune de Nanterre mortellement blessé par un tir à l’arme à feu d’un agent de la police nationale après un refus d’obtempérer, des émeutes urbaines notamment nocturnes ont émaillé la France pendant huit jours mobilisant sur l’ensemble du territoire français des forces de police et de gendarmerie en nombre très important. Ces émeutes ont occasionné des atteintes aux biens d’une particulière gravité dont le préjudice a été évalué à 650 millions d’euros par la Fédération France Assureurs le 11 juillet 2023.

La juridiction administrative a été amenée à se prononcer sur des interdictions préfectorales de manifestations sur la voie publique qui ont suivi ces émeutes et qui avaient pour objet notamment de dénoncer « les violences policières ».

En droit, rappelons que si la liberté d’expression et de communication ont une valeur constitutionnelle[1], la liberté de manifestation qui en est l’une des modalités d’exercice ne figure pas dans la Constitution et n’a fait l’objet d’aucune consécration par le Conseil constitutionnel. Rappelons en revanche que la sauvegarde de l’ordre public constitue un objectif à valeur constitutionnelle[2]. Néanmoins, si la liberté de manifestation n’a pas de valeur constitutionnelle, la jurisprudence administrative a reconnu que le droit de manifester constitue une liberté fondamentale[3] et les mesures visant à restreindre ou à interdire une manifestation devaient être proportionnées à l’objectif de protection de l’ordre public. [4] Il s’agit donc d’un contrôle maximum exercé par le juge administratif.

L’exercice du droit de manifestation est soumis à un régime de déclaration préalable. Ainsi, la manifestation projetée doit faire l’objet d’une déclaration préalable par son ou ses organisateurs au moins 3 jours francs avant la date prévue de la manifestation, 15 jours francs au plus tôt, auprès du maire ou des maires des communes sur lesquelles auront lieu la manifestation[5].

En cas de risque grave pour l’ordre public, en l’absence d’interdiction de la manifestation par les maires compétents, le préfet du département concerné, le préfet de police à Paris, pourra prendre un arrêté interdisant la manifestation[6]. Précisons que le fait d’organiser une manifestation interdite ou non déclarée constitue un délit dont les peines encourues au plus sont de 6 mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende[7]. En pratique, les interdictions de manifester sont rares.

Toutefois, deux ordonnances de référé récentes sont venues valider la légalité d’arrêtés préfectoraux interdisant des manifestations sur la voie publique prises dans le contexte très particulier d’émeutes urbaines de juillet 2023 généralisée sur l’ensemble du territoire français.

Tout d’abord, dans la première espèce, par un arrêté du 6 juillet 2023, le préfet du Val d’Oise avait interdit la tenue d’une manifestation sur la commune de Beaumont-sur-Oise et d’un rassemblement sur cette commune et sur celle de Persan. Ces manifestations avaient pour objet de commémorer le décès survenu en 2016 de M. Adama TRAORE à la suite de son interpellation par la gendarmerie dans le cadre d’une enquête judiciaire.

Par une requête en référé liberté[8] enregistrée le 7 juillet 2023, Mme Assa TRAORE, soeur de M. Adama TRAORE, ainsi que d’autres requérants et intervenants ont demandé la suspension de l’arrêté du préfet du Val d’Oise du 6 juillet 2023 auprès du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Il était invoqué que cet arrêté porterait une atteinte grave et immédiate à la liberté de réunion, à la liberté de manifestation et à la liberté collective d’expression des idées et des opinions et, notamment, que la mesure n’était ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée. 

Le préfet du Val d’Oise faisait valoir en défense le contexte des émeutes urbaines généralisées sur le territoire national et notamment dans le Val d’Oise et le fait que la manifestation projetée avait un lien avec l’événement qui a donné lieu aux émeutes urbaines et qu’ainsi le risque d’atteinte grave à l’ordre public était très important.

Enfin, il précisait qu’il n’était pas possible d’engager un nombre suffisant de forces de l’ordre pour assurer la sécurité de la manifestation projetée.

Dans une ordonnance du 7 juillet 2023[9], le juge des référés a rejeté la requête en considérant qu’eu égard au « caractère extrêmement récent » des violences notamment dans le Val d’Oise, que la manifestation était bien en lien avec les violences policières et que les forces de police et de gendarmerie ne pourraient être pleinement disponibles pour assurer le maintien de l’ordre dans le département du Val d’Oise qui pourrait être touchées par des émeutes. Rap

Dans la seconde espèce, le préfet de police de Paris avait pris un arrêté le 13 juillet 2023 interdisant une manifestation devant se tenir le 15 juillet après-midi place de la République à Paris sur le thème des violences policières[10]. Il était invoqué, d’une part, le risque de la présence d’individus violents, et, d’autre part, la faible disponibilité des forces de l’ordre. Il était évoqué le contexte extrêmement récent des émeutes urbaines et la mobilisation d’un important dispositif de sécurité pour les 13 et 14 juillet 2023 alors que la manifestation était prévue 24 heures après la fête nationale.

La Coordination nationale contre les violences policières avait alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris pour faire suspendre l’arrêté du 13 juillet 2023 en raison d’une atteinte grave à la liberté de manifestation.

Néanmoins, dans une ordonnance du 15 juillet 2023, les juges des référés ont rejeté la requête invoquant notamment le contexte extrêmement récent des émeutes et la faible disponibilité des forces de l’ordre pour assurer la sécurité de la manifestation:   » Eu égard au caractère très récent des graves émeutes « , au risque de troubles vu  » l’objet de la manifestation  » et à la  » disponibilité réduite » des forces de l’ordre, la mesure d’interdiction « apparaît comme étant la seule pouvant être prise ».

Notons que peu avant, dans un contexte différent, les juges des référés du tribunal administratif de Paris avaient suspendu l’exécution d’un arrêté du préfet de police du 24 juin 2023 interdisant une manifestation devant avoir lieu le 1er juillet 2023 place Vauban à Paris en vue de soutenir le soulèvement du peuple iranien et dénoncer l’augmentation du nombre d’exécutions en Iran. Les juges ont tenu compte du nombre de forces de l’ordre mobilisables et l’engagement des organisateurs d’augmenter les agents de sécurité et leur propre service d’ordre ainsi que le fait de finalement ne prévoir qu’une manifestation statique place Vauban. Les juges ont donc suspendu l’interdiction de manifestation en considérant qu’elle portait une atteinte grave et immédiate au droit de manifester (Ordonnance n°2315021 du 29 juin 2023, comité organisateur de la manifestation du 1er juillet 2023).

Ainsi, un contexte de violences récentes et de faible disponibilité des forces de l’ordre est de nature à établir un risque grave pour l’ordre public justifiant une interdiction d’une manifestation sur la voie publique.

Il s’agit de décisions exceptionnelles du juge administratif qui s’expliquent par un contexte lui aussi exceptionnel.

Contrairement aux affirmations de certains commentateurs, il apparaît peu probable que le droit de manifester qui demeure une liberté fondamentale soit en danger et que l’on s’oriente vers une « dérive autoritaire ».


[1] Conseil constitutionnel, n°94-352 DC du 18 janvier 1995

[2] Conseil constitutionnel, n°80-127 DC du 20 janvier 1981

[3] Conseil d’Etat, ordonnance de référé, 5 janvier 2007, Ministre de l’Intérieur, n°300301, T. Leb.

[4] Tribunal administratif de Paris, ordonnance, 6 mai 2023, n°2310107

[5] Articles L211-1 et L211-2 du code de la sécurité intérieure

[6] Article L211-4 du code de la sécurité intérieure

[7] Article 431-9 du code pénal

[8] Article L521-2 du code de justice administrative

[9] Ordonnance n°2309243

[10] Arrêté n°2023-00848